Sans titre, sérigraphie sur tissus 106 x 106 cm
Nahomi DEL AGUILA
Motif quasi omniprésent dans le travail de Nahomi Del Aguila, la figure du serpent est un symbole récurent des mythologies méso-américaines et andines. Il est autant le représentant du monde sous-terrain que des rivières dont il a tracé les sillons dans les premiers temps du monde. Mais la figure prend une forme singulière, on ne voit pas la bête dans son ensemble, seule une partie de son corps tortueux nous est donnée, il nous échappe, comme il échappe au temps, glissant sur ses écailles colorées. Il surgit de nulle-part et on ne peut qu’imaginer sa destina- tion. Force immuable, il traverse les espaces et les âges en imprimant le monde de son passage, il creuse le lit des rivières, irriguant la terre d’une vigueur nouvelle.
Dans le travail de Nahomi, l’évocation de l’eau est celle d’un lien, au- tant géographique, temporel qu’affectif. Celle-ci la relie avec le passé, familial, dans un premier temps, mais aussi historique, colonial, qui a vu l’Amérique du Sud être submergée par l’entreprise impériale portu- gaise et espagnole; mais aussi la prospérité du port nantais.
La mémoire ainsi contenue transporte l’artiste vers une perception de sa propre identité, présente dans chacune de ces eaux, de ces hémis- phères. Elle vient alors tirer dans la géométrie Chancay et les
études naturalistes la peau du serpent, la mue faite motif, dont chaque écaille, affichée ou peinte au mur, construit une idée et une affirmation du soi.
Cette construction identitaire s’est aussi ancrée dans l’expérience même de la durée, grâce aux gestes quotidiens appris en famille, du travail manuel, culturel, celui de la terre, de la cuisine, de la broderie. Une mémoire gestuelle se poursuit à mesure que les fils s’entrecroisent, racontant une lignée, resserrant les liens au déploiement de la parole qui l’accompagne.
Le travail de Nahomi Del Aguila vient faire se rencontrer les mythes et les anecdotes, les traditions et les pratiques populaires, les cosmologies et les territoires dans une œuvre qui interroge son propre déploiement matériel, gestuel et temporel.
Antoine Bertron