Joshua MERCHAN RODRIGUEZ
Chrysalide Fuji, 2020 Dessin numérique unique
Joshua Merchan Rodriguez, jeune artiste français originaire de Colombie, raconte des histoires. Des histoires de plantes qui disparaissent, de conquêtes coloniales, de cultures et d’innovations techniques. Il dénoue les nœuds formés par ces différents évènements, et en tirant sur ces fils aux ramifications multiples — historiques, politiques, scientifiques, mais aussi poétiques —, il rend visible leur intrication et leurs effets réciproques. Ses œuvres, qui prennent le plus souvent l’apparence de sculptures ou d’installations, fonctionnent comme des systèmes, où l’influence exercée par les divers composants révèle les potentialités endormies de la matière. Fabriquées à partir de matériaux de récupération, de déchets — que l’artiste ne considère pas comme tel — ou encore d’éléments organiques, elles sont le fruit d’un assemblage minutieux, parfois précaire, qui s’apparente volontairement à une forme de bricolage DIY. Ainsi, Circuit électrique abritant un messager devenu sourd et muet (2020) est un dispositif aussi technique que sensible au sein duquel chacun des modules et des signes a une fonction spécifique. Des tiges de cuivre surgissent de petits tas de terre disposés au sol ; y sont suspendus des épis de maïs, de petites broderies à l’effigie de ces derniers ou des graines de son ancêtre le Teocintle. Des contenants en céramique remplis d’eau jalonnent l’espace, tandis qu’un générateur électrique manuel permet d’activer la pièce. Se déploie un paysage
d’instruments, une partition de musique à ciel ouvert, un orchestre en quête de musicien.ne.s. Inspirée de la danse rituelle du peuple Hopi décrite par Abby Warburg lors de son voyage sur leur territoire, l’installation permettrait l’arrivée d’une pluie salutaire en période de sécheresse. D’ailleurs, Joshua Merchan Rodriguez se plait à qualifier ses œuvres de « souhaits ». Fictions couleur pastel, douces et optimistes, elles se posent en propositions ludiques face aux conséquences de l’effondrement de la biodiversité, du bouleversement climatique et plus globalement d’un système au bord du gouffre. Palliant les difficultés émanant d’un régime économique qui s’appuie sur l’extractivisme et l’accroissement des inégalités sociales, Bureau de Troc Polymérique (2021) invite tout un chacun à expérimenter le système de troc. Deux semaines durant, l’artiste vêtu d’un costume jaune layette s’est mué en chef d’entreprise. Dans sa boutique improvisée, contre tout bien ou service de valeur équivalente, il échange des fossiles multicolores. Ce sont des résidus d’objets de consommation, polis par la mer, glanés au large du golfe du Mexique. L’opération connaîtra le succès escompté : l’intégralité des pièces présentées, incluant les présentoirs et la chaise de bureau, fut troquée. Les visiteur.se.s, toujours mobilisé.e.s par les dispositifs créés, occupent un rôle actif, de sorte que le travail de l’artiste s’éprouve, voire se vit. Plus récemment, Joshua Merchan Rodriguez réalisa un porno végétal. Le film, issu de l’exposition « Agua de sauco para el dolor de garganta » (2022) présentée aux Beaux-Arts de Paris, prend la forme d’un triptyque montrant les liens charnels, franchement érotiques, qui se nouent entre humains et plants de tomates. Lorsque ces dernières sont produites de manière intensive, elles ne sont pas stimulées par les bourdons, seul insecte en mesure d’accomplir cette tâche indispensable à la pollinisation de la plante. Alors, en guise de substitut, l’ouvrier.ère serriste caresse les tiges et les fleurs avec une sorte de godemichet, produisant les vibrations nécessaires à l’excitation. Les couleurs saturées des images exacerbent la vitalité de la matière tandis que les cadrages serrés intensifient les relations d’interdépendance entre l’humain, la technologie employée, et les plants de tomates. Le film se visionne à l’abri des regards indiscrets, dissimulé.e derrière un rideau confectionné à partir de tiges végétales séchées, aspergées d’une solution à base de cuivre, pesticide chimérique. Si l’œuvre est pleine d’humour, elle aborde néanmoins — et comme souvent dans la pratique de l’artiste — un sujet crucial, aux conséquences déterminantes, notamment sur le plan environnemental. Porté par une conscience écologique, Joshua Merchan Rodriguez interroge notre façon d’ingérer le monde, en étudiant la relation problématique que nous entretenons à nos milieux, les discours légitimant ce type de pratiques et les alternatives souhaitables.
Indira Béraud