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Assoukrou AKÉ Le Clou 22 biennale de la jeune création des Amis du musée d'arts de Nantes

Du tumulte du monde au silence du papier #5, 2021.22,4 x 16,8 cm Acrylique sur kraft et adhésif sur papier (encyclopédie)

Cet entretien a été réalisé par Zoom en septembre 2022. Il est le fruit d’une rencontre entre le plasticien Assoukrou René Aké, né en Côte d’Ivoire et récemment diplômé de l’école supérieure d’Art et Design de de Tours, et la curatrice Valentine Umansky, en poste à la Tate Modern de Londres.

 

Valentine Umansky - Pour commencer, et parce que c’est central dans la série que tu présenteras à la biennale des Amis du musée d'Arts de Nantes, je voulais te demander si tu peux évoquer ton rapport au collage. Il me semble que le papier est un médium qui rejaillit dans bon nombre de tes travaux ?

 

Assoukrou Aké - Depuis quatre ans, c’est mon support privilégié. J’apprécie la fragilité du papier mais aussi la possibilité que j’ai de le rendre rigide. C’est un médium d’une grande versatilité. Mon rapport au papier prend sa source dans l’archive. Je recherche et collectionne les journaux ou ouvrages datant des années 1900-1970 et j’achète aussi des ensembles de documents de l’époque coloniale, en ligne ou en librairie.

 

VU – Peux-tu décrire les six pièces que tu présentes à la biennale ?

AA – Il s’agit de cinq petits collages et d’un sixième, de très grand format, qui forme un diptyque, et que je suis en train de terminer. Les œuvres sont issues d’une série plus vaste, qui s’appelle, Du tumulte du monde au silence du papier, et qui regroupe soixante-trois pièces et vingt-six hors-série. Elle est le résultat d’une recherche qui a débuté pendant le confinement lorsqu’un jour, j’ai trouvé par hasard un manuel scolaire, dans la rue. A l’époque, mon appartement me servait d’atelier. J’ai alors eu l’idée de recouvrir les pages du livres de papier kraft déchiré. Il m’a vite semblé que la couleur du kraft rendait les collages illisibles. J’ai alors décidé de les passer au noir et c’est de là qu’est née Sad Bird Still Sing, la première pièce de la série.

VU - Comment as-tu déterminé le titre de cet ensemble ?

AA - Ce n’a pas été simple et j’y ai réfléchi pendant plusieurs semaines. En un sens, toutes les questions, mais aussi les réponses, se trouvent dans ce titre. Il rappelle la période que je vivais alors, n’ayant plus accès à l’école, et donc à mon atelier, et la nécessité, de ce fait, de travailler en petit format, ce dont je n’avais pas l’habitude. Je réfléchissais beaucoup, à l’époque, à l’expression de « mettre en pièce », qui évoque une transformation dans la violence. Les mécanismes historiques et les changements politiques nés dans la violence me fascinent, et j’effectue des recherches sur la révolution haïtienne, la conscription des tirailleurs sénégalais, mais aussi sur l’histoire de ces milliers enfants métisses placés en foyers, comme ce fut le cas pour mon grand-père. Durant la période coloniale, en Afrique-Occidentale française, ces enfants issus de relations entre des colons blancs et des femmes africaines étaient placés dans le Foyer des métis de Bingerville, en Côte d’Ivoire. C’est là qu’a été envoyé mon grand-père. L’acte de mettre en pièce me semble symbolique de ces moments. Il parle de cette violence mais aussi du geste de ma main, qui opère comme un rituel. C’est un geste similaire à celui du médecin qui détruit, extirpe le mal du corps, avant de le recoudre. Le tumulte, à mes yeux, résume cette mécanique de la violence, dont on voit les effets tout autour de nous.

 

VU - Ton papier n’est pas seulement déchiré, il me semble. Comment le travailles-tu ?

AA - Au toucher, on peut se rendre compte que le kraft est alourdi de couches de peinture noire, qui le rendent plus rigide. La rigidité du papier peint, et les formes collées sur les pages du manuel, surimposent aux illustrations de nouvelles couches de sens. Le manuel a été publié en 1906, sous l’empire colonial anglais. C’est un lourd compendium, divisé en cinq parties, et qui permet de prendre la mesure de la pensée coloniale de l’époque, appliquée notamment au droit, à la médecine ou à la géographie.

 

VU - Peux-tu me parler des précédents à cette série ?

AA - Il faudrait citer un ensemble que j’appelle Mystique de l’absence, constitué à partir d’archives des deux guerres mondiales. En feuilletant des journaux de cette époque dans une librairie de Saint-Ouen où je vais souvent, je suis tombé sur une affiche annonçant le recrutement de tirailleurs sénégalais, dans le journal L’Illustration. Je suis parti de là, et d’un manuel militaire qui décrivait les armes blindées utilisées pendant la bataille d’Alger, en 1957. 

 

VU – Tu as parlé de tes sources mais, pour finir, peux-tu dire un mot des formes que tu leur superposes ?

AA – Elles sont inspirées d’images que j’ai récoltées. J’ai constitué une base de données qui regroupe désormais 8000 à 9000 images ; des gravures, des tableaux, de nombreux ciels, et des corps.

 

VU – Ton travail oscille pour moi entre ces deux types d’image : l’image source et l’image subversion, et c’est là que doit, à mon sens, se porter notre regard ; au point de rencontre, au cœur d’une mécanique de l’image / contre-image.

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