Céleste CASTELOT
Avides errances, sans titre N° 18 2022
Huile sur toile 38 x 46 cm
MOISSONS DU CIEL
Dans les formes renouvelées des nuages, chacun reconnaît ce qu’il veut, comme un jeu d’enfant. Marina Abramovic inversa ce processus en faisant apparaître l’ombre d’un nuage à l’aide d’une cacahouète épinglée sur un fond blanc (Cloud with its Shadow, 1971). Cette image fragile et minuscule issue du monde ordinaire devient dans la sphère de l’art l’ombre portée d’un nuage. Le collectif Présence Panchounette présenta le diptyque Ciel sans nuage et Nuage sans ciel (1988), monochromes parodiques disposés côte à côte, simple papier bleu et morceau d’ouate encadrés. Lumière et couleur sont inspirantes dans les nuées, ces œuvres représentent à la fois l’imagination foisonnante et la raison observatrice qu’elles suscitent. Les nuages donnent leurs tonalités émotionnelles aux paysages, leurs métamorphoses incessantes conduit à la contemplation. Dans le même temps, d’un point de vue scientifique, chaque nuage apparaît comme le résultat d’un conflit entre la force tellurique et le mouvement ascendant de l’atmosphère. Entre la sérénité d’un ciel et sa pesanteur, la variation est infinie, révélant toutes les images de la vie et de ses alternances. Ainsi, la peinture figurative de Céleste Castelot s’attarde sur l’inatteignable et l’impermanent à travers le motif du nuage qu’elle renouvelle sans cesse dans ses séries. Plus qu’une répétition du motif du ciel, c’est une insistance qui peut être comprise comme le signe formel d’un questionnement sur la recherche picturale. Rappelant les visions romantiques de Friedrich ou de Turner, l’artiste pousse l’étude du motif dans la simplicité d’une expérience picturale frontale et massive. Aucune présence humaine n’est évoquée, l’horizon est très bas, le paysage construit par le souvenir apparaît comme une sorte d’idéal mêlé de simplicité. Espace, lumière et couleurs ont toute leur importance dans les œuvres de Céleste Castelot. Son intérêt pour l’histoire culturelle des couleurs la pousse dans une recherche de l’intensité chromatique. Elle fabrique ses teintes à l’aide de pigments, de gomme arabique, elle n’hésite pas à charger ses ciels de rose, de jaune, à déposer des sous-couches de rouge pour attiser la lumière toujours très présente dans chacune de ses toiles. Entre figuration et abstraction, l’artiste nous promène dans l’évidence de la complexité et de l’entre-deux. Parfois, les ciels deviennent des aplats de couleurs (Avides Errances, Sans titre n° 18, qui n’est pas sans rappeler le Clair de lune de Félix Valloton) ; souvent, ils sont le signe d’un paysage en mouvement, idéal et empli de vitalité. La vivacité ou la délicatesse des couleurs et leur combinaison distingue chacune de ses œuvres. La broderie et le tissage sont également pour l’artiste le lieu de l’expérimentation des couleurs, avec des paysages miniatures qui révèlent des strates de nuances se superposant et s’emmêlant. La lumière a une fonction régulatrice dans ses tableaux : localisée, elle délimite et épure, révèle les formes. Les nuages surgissent et reculent dans un élan dynamique, donnant l’impression d’unité et d’infini. Modulation de couleurs et de lumière, les paysages observés sont transfigurés, composés pour exprimer un caractère universel, immuable et éternel de la nature. Comme l’explique Hubert Damish dans sa Théorie du nuage, le nuage « contredit […] par son inconsistance relative, à la solidité, à la permanence, à l’identité qui définissent la forme »*. De cette masse hasardeuse et indéfinissable, Céleste Castelot parvient à fixer des oasis de couleurs audacieuses. La nature imprévisible est ici contenue par la force de la composition, l’immobilité est d’autant plus étrange que le sujet représenté est un phénomène atmosphérique en constante mutation. Ainsi, Céleste Castelot recherche dans ces paysages mutiques le temps sauvage et le temps de l’enfance, l’éclat énergique de cieux chargés, une densité dans la transparence.
Sandra Doublet
* Hubert Damisch, Théorie du nuage : Pour une histoire de la peinture, Paris, Seuil, 1972, p. 28.