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Byungsu LIM

Quête du lointain

« Les poètes ont créé une lune métaphorique et les savants une lune algébrique. La lune réelle est entre les deux, c’est cette lune que j’avais sous les yeux. Vous vous trouvez face à face dans l’ombre avec cette mappemonde de l’Ignoré. L’effet est terrifiant. L’inaccessible presque touché. L’invisible vu.[…] On a le vertige de cette suspension d’un univers dans le vide, nous aussi, nous sommes comme cela, en l’air. »

 

Victor Hugo, Le Promontoire du songe, 1834

 

Byungsu Lim incite à travers ses œuvres à se perdre, il aime ajouter des histoires et de la profondeur au visible, à l’appréhension d’une réalité perçue.

L’artiste étend l’iconographie scientifique à une lecture sensible du monde. Dans une sorte de voyage immobile, il déploie ce qu’il appelle une « curiosité de l’espace », notamment au travers de motifs récurrents.

La spirale, le vortex et la forme conique, volumes attachés à l’astrophysique ou bien le trou et le miroir sont autant d’éléments permettant l’extension de l’espace-temps et une ouverture sur la métaphysique.

Depuis l’Antiquité, la géométrie, dont l’étymologie grecque renvoie à la mesure de la terre, constitue l’une des principales matières d’enseignement : elle est à la base de la lecture du monde et de la philosophie. 

Pour Byungsu Lim, « la géométrie est un intermédiaire qui active le flux de conscience au-delà des obstacles qui bloquent la vue ».

L’espace est caractérisé par des dimensions extraordinaires, les ordres de grandeur sont infiniment vastes, la géométrie va permettre de modéliser notre perception de l’espace. Byungsu Lim rend compte de constructions intellectuelles faites sur l’espace par le biais de la géométrie et de la simplicité des figures, à l’image de cette béance dans le mur qui ouvre sur les étoiles. L’artiste insiste sur l’interdépendance relationnelle des œuvres avec l’univers et le spectateur, et renouvelle une approche phénoménologique du sujet. Nous projetant vers des horizons spatiaux-temporels multiples, il nous guide dans une compréhension sensorielle de l’espace. Le cercle apposé sur un mur rappelle l’estampe d’Odilon Redon, L’œil comme un ballon bizarre se dirige vers l’infini, 1882, cette montgolfière œil qui monte dans les airs. Nous sommes dans le mécanisme du rêve, une forme du repos, où le regard curieux s’échappe sur l’infini cosmique. Avec ce geste, l’extrême simplicité côtoie l’enfance et la poésie. L’œil collé sur ce microscope convoquant quantité de phénomènes physiques, nous pourrions être face à un objet rituel, magique où la contemplation précipite la perte d’échelle. Nous voilà placés d’emblée en observateur curieux, le « presque rien » nous fait tomber dans l’infini, ouvrant la perspective d’un univers tenant dans une coquille de noix. Dans les œuvres de Byungsu Lim, il y a quelque chose d’un désir d’extraction (ce mot partage son origine avec existence) : exister, c’est la tentative de s’approcher d’un ailleurs. Poussières d’étoiles, nous tentons d’appréhender une forme d’altérité radicale.

 

Le tournoiement des pulsars, dans la pièce musicale Le Noir de l’Etoile de Gérard Grisey, nous fait sentir cette intrication de l’espace et du temps où le compositeur de musique spectrale transforme la matière en volutes. Dans les oeuvres Deux portails et Trois cônes, Byungsu Lim met en image la courbure du temps. Il produit à partir de la matière ignée - la céramique d’un côté et le bois de l’autre - les conditions neuves et les plus troublantes de la perception. Il invente alors une dramaturgie, avec une connaissance des relations entre réception et spatialisation, déplacements et lumière. Le bois assemblé et brûlé rappelle l’embrasement des météorites entrant dans l’atmosphère, et crée de nouveau ce passage vers un ailleurs. Les Deux portails sont une chorégraphie, une mécanique des fluides, une attente de rencontres, de frottements qui font feu. Byungsu Lim part de la théorie d’Einstein selon laquelle un trou de ver permettrait le voyage d’un point de l’espace-temps à un autre, à la manière d’un raccourci, nécessitant de renoncer à l’image d’un espace ou un temps absolus, de la sensibilité humaine. La physique révèle alors des dimensions qui se courbent. Les choses ne sont pas ici et là mais existent les unes par rapport aux autres : « Je crée des sensations d’absorbement et d’aspiration, un contraste entre l’intérieur et l’extérieur comme un vortex. Il s’agit de mon intérêt pour les formes matérielles, proche de la géométrie et le phénomène ou la phénoménalité en tant que telle : perception, lumière, spatialité. ». 

 

Le caractère dynamique de l’univers apparaît également à travers le tableau Sans titre, 2021, constitué d’une toile de tulle tendue sur un châssis en bois. Sur cette toile est fixée une bille d’acier décentrée. On perçoit l’essence vibratile du cosmos, cette ouverture sur l’inconnu, on y décèle la pression et ses relâchements. Toutes ces formes, ces sensations tiennent dans un contenu simple. C’est le principe d’écart qui va faire advenir la perception. « Pour qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, il faut qu’il y ait plus d’un, il faut qu’il y ait une extériorité » nous dit Aurélien Barreau. Le tout ne se fait que dans une interaction entre les corps. Quand la matité du noir absorbe la lumière et semble l’attirer en soi, le satiné, la brillance de la bille d’acier réfléchit et nous renvoient un autour transformé, flottant entre un refus de la planéité et l’invention d’une troisième dimension. Lorsque Fontana ouvre ses toiles sur le cosmos en les perforant ou en les incisant, elles deviennent médiation entre espace terrestre et sidéral, c’est la matérialité de la toile qui ouvre sur la dimension cosmique de l’espace, les lacérations suggérant la création d’un univers né de l’éclatement de la matière. Pour Byungsu Lim, la localisation physique, factuelle et limitée de l’espace peut permettre à l’esprit humain d’accéder à l’imaginaire cosmique. L’artiste fonde l’instabilité optique de ses compositions sur le mouvement qui affecte le réel, depuis le cœur de l’atome jusqu’aux orbites des corps célestes. Il contribue à apparier un cinétisme optique et une inclination cosmique. L’abstraction de Byungsu Lim a également quelque chose de l’ordre de la stylisation. Cette toile noire, ce carré noir qui signifiait pour Malevitch le vide inconnu du cosmos, réalité d’une peinture abolissant le monde des objets, serait l’image même de l’éclipse, du trou noir abolissant le monde traditionnel des représentations mimétiques. 


Il existe une plasticité, une distorsion de l’espace-temps à tel point que les scientifiques ne savent pas si l’espace est infini. Dans l’œuvre Espace relatif, la sphère et les courbes conduisent à une mise en abîme du regard. Notre concept d’espace est limité, l’artiste le rend plastique dans cette installation. Les orifices à travers lesquels l’œil est happé ne sont pas tant des trous que d’autres voies d’accès à des mondes possibles, à l’image des trous noirs qui contiennent en leur cœur une masse gigantesque concentrée dans un volume dérisoire. Les principes de notre physique peuvent être bouleversés ailleurs ; la contingence vient affecter les lois de la nécessité, tout n’est ici que perspective. À l’apparition d’un infini nous fait face une finitude de la pensée. Ainsi, ce n’est pas le monde qui est achevé, mais la capacité humaine à se le représenter.

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